Maurice Zundel
Toutes nos activités sont à quelque degré interchangeables, et la plupart pourraient être accomplies par des machines. L'acte irremplaçable, c'est le rayonnement de l'être, le sourire de la bonté, l'élan du cœur : tout ce qui vient du dedans, en la gratuité du don. C'est par là que tout être est nécessaire, que toute vie est infinie: le pain qu'on achète et qu'on vend peut être le symbole d'une communion si les mains qui se touchent et les regards qui s'affrontent laissent passer la lumière des âmes.
N'est-ce pas notre suprême détresse que tant de richesses humaines se perdent, que tant d'êtres ne soient qu'unités dans un nombre, que tant de visages portent ce masque anonyme qui les conforme à leur milieu ?
Ah ! Pouvoir être soi-même enfin, comme on doit être devant Dieu, sans refouler son âme, et sans mentir à l'Infini dont on porte en soi l'implacable exigence !
Il nous appartient en tout cas de ne pas imposer cette contrainte aux autres, en les entourant de tant d'humilité et de tant de respect, de tant de bonté et de tant d'amour, qu'ils découvrent leur âme et qu'ils osent l'exprimer. Il n'y a pas d'œuvre plus grande que celle-là, il n'y en a pas de plus nécessaire. Ce n'est que sous les auspices de sa dignité recouvrée que l'homme reconnaîtra, dans son esprit, le sanctuaire d'une Présence mystérieuse.