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Joël Sprung

Dieu ne tente personne. En cas de doute, l’épître de saint Jacques le rappelle vigoureusement : Que nul, quand il est tenté, ne dise : « Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne (Jc 1, 13). Dans ce sens, Dieu ne peut donc nous « soumettre » à la tentation, dans le sens littéral. Il y aurait confusion entre Dieu et le tentateur, Satan. D’où l’accusation de blasphème concernant la traduction courante.

Mais éprouver n’est pas nécessairement tenter. Même si, en grec, le même mot, ou la même racine, est utilisé. Et l’on comprend, comme d’ailleurs la tradition le rappelle, qu’il nous faut passer par l’épreuve. Aussi tressaillez-vous d’allégresse même s’il faut que, pour un peu de temps, vous soyez affligés par diverses épreuves, à fin que, bien éprouvée, votre foi, plus précieuse que l’or périssable que l’on vérifie par le feu, devienne un sujet de louange, de gloire et d’honneur, lors de la Révélation de Jésus Christ (1P 1, 6-7).

Sainte Thérèse d’Avila enseignait d’ailleurs que « Ceux qui arrivent à la perfection ne demandent pas à Dieu d’être délivrés des souffrances, des tentations, des persécutions ni des combats. [...] Car, je le répète, ils désirent plutôt les épreuves, ils les demandent et les aiment. Ils ressemblent aux soldats qui sont d’autant plus contents qu’ils ont plus d’occasions de se battre, parce qu’ils espèrent un butin plus copieux ; s’ils n’ont pas ces occasions, ils doivent se contenter de leur solde, mais ils voient que par là ils ne peuvent pas s’enrichir beaucoup. Croyez-moi, mes sœurs, les soldats du Christ, c’est-à-dire ceux qui sont élevés à la contemplation et qui vivent dans la prière, ne voient jamais arriver assez tôt l’heure de combattre ».

Dans le même sens, aller vers ne signifie pas entrer dans. Comme le rappelait déjà Delorme, et comme l’ont retenu les évêques français, cette notion de « lieu » est importante. Nous comprenons que si Dieu nous conduit au désert pour que nous y soyons éprouvés, il ne nous éprouve pas lui-même. Cette métaphore du mouvement vers un lieu, restitué dans la nouvelle traduction, permet donc de se rapprocher des textes les plus anciens, sans introduire le verbe « succomber ».

Mgr Giraud le rappelait dans sa synthèse de juin 2011 :
Le verbe eisphérô signifie étymologiquement « porter dans », « faire entrer ». La tentation est vue comme un lieu dans lequel Dieu nous introduirait. Mais Dieu pourrait-il nous « introduire » en tentation ? Ce verbe exprime un mouvement local vers un lieu où l’on pénètre. Il fait penser à Jésus, alors qu’il est conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté (Mt 4,11), ou encore à Gethsémani : « Priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26,41).

Dieu doit donc bien nous conduire vers, mais Il ne peut pas nous introduire dans. Nous ne pouvons donc pas demander à ne pas être conduits vers (ce qui supposerait que nous refusons une bonne chose), ni à ne pas être introduit dans (ce qui supposerait que cela soit possible). Demander à Dieu de ne pas faire une chose qu’Il serait par ailleurs susceptible de faire est donc absurde : Dieu ne peut faire que le Bien et nous ne pouvons pas prier qu’Il ne le fasse pas.

Enfin, la métaphore du lieu est indispensable pour comprendre de quelle nature est la tentation en question. Le mot utilisé est une allusion directe au lieu appelé Tentation, Massa en hébreu, nommé ainsi parce que durant l’Éxode, au cours de leur station à Refidim, les fils d’Israël ont mis le Seigneur à l’épreuve : « Il donna à ce lieu le nom de Massa (Tentation) et Meriba (Querelle), parce que les Israélites cherchèrent querelle et parce qu’ils mirent YHVH à l’épreuve en disant : YHVH est-il au milieu de nous, ou non ? » (Ex 17, 7). C’est cette même tentation qui fait dire à Jésus au désert : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu (Mt 4, 7 ; Lc 4, 12 citant Dt 6, 16). Jésus est le Seigneur et, comme à Réfidim, c’est lui qui est tenté, mis à l’épreuve.

Demander de ne pas entrer en tentation, c’est donc demander à ne pas douter de la présence de Dieu au milieu de nous. C’est en ce sens que Jésus dit à ses disciples, à Gethsémani : priez pour ne pas entrer en Tentation (Mt 26, 41 ; Mc 14, 38 ; Lc 22, 40.46). Car bientôt ils seront amenés à douter qu’il est vraiment Dieu. L’esprit est ardent, mais la chair est faible ! (Ibid.) Il est si simple de douter, de quitter ensuite Jérusalem l’espoir en berne, en se disant : « Nous espérions, nous, que c’était lui qui allait délivrer Israël » (Lc 24, 21). Alors c’est là le sens profond de cette demande : Seigneur, garde-nous de douter de toi !